Durée de lecture estimée : 13 minutes
Auteure : Cindy Balavoine
Je rentre chez moi après une longue journée de travail. Jamais le temps ne m’avait paru aussi long… J’ai juré toute la journée et regretté à de nombreuses reprises d’avoir pris le poste de Dorian. Mes pensées vacillaient constamment entre mon mystérieux paquet à faire froid dans le dos et cette lettre complètement dingue que je m’apprêtais à suivre. Suis-je devenue complètement folle ? Certainement ! Et puis, pourquoi ai-je offert mon jour de repos sans réfléchir à ce crétin. C’est vrai quoi ? « Léna, je dois absolument prendre ma journée, c’est un truc de ouf ce qui m’arrive ! Il faut vraiment que j’y aille ! »
Ce jour-là, il sautait comme une gazelle à la Cantine de Clochemerle, les yeux pétillants d’excitation. Les clients admiraient, amusés et un peu consternés, le spectacle affligeant de mon collègue survolté. Dorian était tellement excité que même les habitués, pourtant bienveillants, semblaient mal à l’aise. Il faisait des allers-retours frénétiques entre les tables, renversant presque un plateau de verres au passage. Pour le calmer, moi, j’ai répondu hâtivement un : « Vas-y Dorian ! Tu vas tout déchirer ! Je te remplace, pas de problème… »
Cet événement immanquable, c’était le casting de “N’oubliez pas les paroles”. Sauf que le type ne sait absolument pas chanter. Lorsqu’il pousse la chansonnette, il pourrait nous faire saigner les oreilles. Dorian a cette passion incompréhensible pour la chanson, mais une voix qui ferait fuir un troupeau de chats enragés. Ce soir, j’ai reçu un nouveau message de lui : étonnamment, il n’a pas été retenu ! Quel choc…
Je me déchausse dans l’entrée, pose mon sac sur le petit meuble trônant dans le couloir et me dirige vers mon super canapé pour m’effondrer quelques instants. Ce n’est pas le nombre de clients qui m’a fatiguée, mais plutôt le stress constant causé par ce fichu rendez-vous et ce truc étrange caché sous mon lit. Mon esprit n’était nulle part ailleurs, je ne réussissais pas à me concentrer sur mes tâches ce qui m’a conduit à enchaîner boulette sur boulette tout au long de la journée.
La Cantine de Clochemerle est un charmant petit restaurant avec ses murs en pierre apparente et ses tables en bois massif, ornées de nappes à carreaux rouges et blancs. L’ambiance y est chaleureuse et conviviale, un endroit où les habitués se sentent comme chez eux. Pierrick, le patron, est un homme d’une cinquantaine d’années, robuste et toujours souriant. Ami de longue date de mon père, il a tenu ce restaurant depuis toujours et est très indulgent avec moi, par respect pour mon père et en souvenir de ma sœur Laurie. Laurie aimait beaucoup cet endroit ; elle était une habituée et venait parfois en extra quand Pierrick avait besoin d’aide. Pierrick est une bonne personne, il ne mérite pas mes nombreuses bourdes de ces derniers mois.
Aujourd’hui, j’ai accidentellement servi un café au lait à madame Perrin, allergique au lactose. Je ne suis pas capable de décrire l’émotion dans son regard lorsqu’elle a posé les yeux sur sa tasse. Un mélange de surprise et d’indignation. Je me suis excusée mille fois, mais elle n’a pas semblé apprécier que je tente de « la tuer », a-t-elle légèrement hurlé. Tout de suite les grands mots, elle exagère un tout petit peu. J’ai également renversé un plateau entier de planches de foie gras. Cette fois, c’est Pierrick qui n’a pas trop apprécié. Ses sourcils se sont froncés et il a poussé un soupir de déception. Parfois, je me demande comment je fais pour ne pas perdre mon job.
Je commence à m’affoler, l’heure tourne et je ne reviens pas sur ma décision : je me rends à ce rendez-vous. Mais je ne peux pas y aller sans un moyen de me défendre. Je jette un coup d’œil autour de moi, cherchant désespérément quelque chose qui pourrait m’aider. Mon regard tombe d’abord sur une lampe de chevet en céramique. Non, trop encombrante. Puis, sur une batte de baseball qui traîne dans un coin de l’appartement. Trop voyante et peu pratique à transporter.
« Léna, tu ne comptes quand même pas y aller les mains dans les poches ! » Je me dirige alors vers la cuisine, une petite pièce encombrée, mais fonctionnelle, et ouvre un tiroir. Je sors le plus grand couteau que j’ai en ma possession. La lame brille sous la lumière artificielle, froide et intimidante. « Ce truc ne rentrera jamais dans mon sac ! » Je le repose et en prends un plus petit. « Celui-là fera l’affaire. » Sa poignée usée témoigne de son usage fréquent. Je préfère être prudente. Je me jette peut-être dans un guet-apens idiot.
Je vais me changer pour mettre une tenue confortable et des baskets, au cas où je devrais courir. En enfilant mon vieux sweat à capuche et un jean usé, je me dirige vers le miroir de l’entrée. Je m’arrête un instant pour me regarder. De vilaines cernes allourdissent mon visage et me rappellent à quel point je suis épuisée. À 25 ans, mes jolis traits sont effacés par la fatigue et la tristesse cumulées cette dernière année. Mes cheveux châtains en bataille tombent sans vie autour de mon visage. Je tente d’y donner un peu plus de volume, histoire d’être présentable. Mes yeux verts, autrefois pétillants, ont perdu de leur vivacité. Mes lèvres charnues sont enflées par un vilain bouton de fièvre, résultat du stress accumulé ces derniers jours. Rien d’étonnant. Heureusement que je ne me rends pas à un rendez-vous galant, le pauvre partirait en courant.
Je soupire pour tenter de me rassurer sur l’issue de cette soirée. J’attrape la lettre, mon sac et mon couteau, et franchis le seuil de mon appartement. Est-ce que je suis prête ? Pas du tout ! Je vérifie que la localisation de mon téléphone est toujours bien activée. Depuis la disparition de Laurie, avec Papa, on partage nos positions. C’est rassurant de pouvoir se savoir en sécurité mais ce soir, il ne se doute pas de ce que je m’apprête à faire et il ne serait absolument pas d’accord avec ma décision.
L’adresse indiquée n’est qu’à trois rues de chez moi. Je m’y rends à pied, me posant dix fois la question de faire demi-tour. Chaque pas me rapproche du mystère et de la peur. Les rues sont désertes, l’obscurité amplifie ma nervosité. Je serre mon sac contre moi, sentant le poids du couteau à l’intérieur, prêt à être dégainé si nécessaire. Chaque bruit, chaque ombre me fait sursauter. J’ai l’air idiote et névrosée.
Je continue d’avancer, déterminée mais terrifiée, me demandant ce que je vais trouver à l’adresse fournie.
Finalement, j’arrive à l’angle de l’impasse indiquée dans la lettre. Les lampadaires projettent des ombres inquiétantes sur les murs des bâtiments, ajoutant à l’atmosphère déjà oppressante. J’ai l’impression de ne plus réussir à respirer. Le silence nocturne est seulement perturbé par le bruissement lointain des feuilles et le cliquetis de mes pas nerveux. Au cas où, j’envoie ma position à mon père via WhatsApp. Il ne va pas comprendre, mais s’il n’a pas de nouvelles de moi demain, il le communiquera à la police.
Ça y est, nous y sommes, l’instant fatidique. Je prends une grande inspiration et tourne dans l’impasse. Le froid de la nuit semble s’intensifier alors que je m’avance, chaque souffle se transformant en nuage de vapeur. Au fond, près d’un banc et d’un réverbère vacillant, se tient une silhouette. Mon cœur va exploser. La lueur vacillante du réverbère jette des ombres mouvantes sur la scène, rendant l’apparition encore plus sinistre et énigmatique. Je ne peux m’empêcher d’imaginer partir en courant. Pourtant, mon instinct me dicte d’y aller.
Plus je m’approche, plus je distingue la silhouette vaporeuse qui m’attend. C’est un homme, grand, portant un long manteau noir qui semble absorber la lumière, ajoutant à son aura ténébreuse. Je ne distingue pas bien son visage, tout est sombre, intriguant, inquiétant. Le manteau se fond dans l’obscurité environnante, ne laissant voir que les contours incertains de son porteur. Quelque chose m’inquiète profondément. J’ai ce sentiment de noirceur. J’ai un mauvais pressentiment. Qui est-il ? Par moments, son image semble se troubler, comme si elle n’était pas tout à fait réelle, une ombre parmi les ombres. Je secoue la tête. « Tu te trompes Léna. »
Chaque pas me rapproche de cet inconnu ténébreux, le mystère s’épaississant à chaque instant. Le réverbère vacille à nouveau, plongeant brièvement l’impasse dans l’obscurité totale, avant de se rallumer faiblement. Mon cœur bat à tout rompre, résonnant dans mes oreilles.
Le stress monte en moi, mes mains tremblent légèrement. Je m’efforce de garder mon calme, mais l’aura de cet homme, son mystère et son obscurité, me mettent mal à l’aise. L’impasse semble se resserrer autour de moi, chaque mur se rapprochant lentement, comme pour me piéger avec cette silhouette énigmatique.
La silhouette commence à se déplacer lentement vers moi. L’air semble se figer autour de moi, chaque mouvement de l’inconnu amplifie mon angoisse. Je m’agrippe à mon sac comme s’il allait me sauver, sentant le poids rassurant du couteau à l’intérieur. Dois-je le sortir maintenant ? Mon esprit s’emballe, chaque fibre de mon être hurlant de se préparer à l’inconnu.
Il ne reste plus que quelques mètres entre nous, mais j’ai toujours ce sentiment qu’il est enveloppé par les ténèbres. Les ombres semblent danser autour de lui, accentuant l’aura de mystère et de danger. J’ai l’impression que mes jambes vont m’abandonner, me laisser tomber comme une vieille chaussette sale qui a perdu sa jumelle ! Je vais m’écrouler, peut-être m’évanouir. C’est sûr, je vais perdre connaissance et ce type pourra faire de moi ce qu’il veut. Mais qu’est-ce que je fous là ?
Le silence de la nuit est assourdissant, chaque battement de mon cœur résonne dans mes oreilles. Son visage devient enfin visible et… il sourit légèrement. Un sourire énigmatique, presque rassurant mais teinté de mystère. Oui, c’est ça, il sourit. Je suis confuse et me sens idiote. Mon imagination m’avait peinte un tableau bien plus sombre. Il sourit davantage alors que nous ne sommes plus qu’à un mètre l’un de l’autre.
Son sourire s’élargit, révélant des dents blanches parfaitement alignées. Ses yeux, d’un noir profond, semblent me scruter avec une intensité troublante. Son long manteau noir se fond dans l’obscurité de la nuit, ajoutant à son apparence mystérieuse. Je ressens un mélange étrange de soulagement et de méfiance. L’obscurité semble toujours l’envelopper, mais son sourire adoucit légèrement son aura ténébreuse.
– Léna ! Je suis si heureux que tu sois venue et tellement content d’enfin faire ta connaissance.
Alors, ouais, là, c’est sûr, j’ai loupé des épisodes ! Il rit toujours et moi, je reste silencieuse. Qui est ce type ? Est-ce que Laurie le connaissait ? Elle m’en aurait forcément parlé. Il est le genre d’homme dont on parle. Le genre de mec à la beauté indescriptible. Son teint est trop parfait, ses cheveux noirs mi-longs sont décoiffés, d’une manière sauvage mais étrangement attirante. Une barbe naissante souligne sa mâchoire carrée, ajoutant une touche de mystère et de virilité. Ses yeux noirs, profonds et envoûtants, semblent percer mon âme.
Il est très grand, me faisant me sentir minuscule à ses côtés. Son allure est troublante, presque hypnotisante. Il est vêtu d’un long manteau noir, qui contraste avec sa beauté brute et naturelle. Son look détonne, me faisant penser aux gothiques que je côtoyais au lycée, sans le maquillage et les énormes bottes à semelles compensées. Non, si Laurie connaissait ce type, elle m’en aurait forcément parlé. Je suis troublée. Ses yeux sont envoûtants, hypnotisants. Il claque des doigts, je cligne des yeux. Est-ce que je me suis perdue dans son regard avec un petit filet de bave ?
– Qui êtes-vous ? lançai-je sans vraiment savoir quoi demander.
— Je suis A.J. Je travaille avec Laurie. Elle m’a beaucoup parlé de toi, je suis très content de rencontrer une nouvelle Delacroix.
Huuummm, un collègue de Laurie, hein ? Mouais, j’y crois moyennement. Mes sourcils se froncent instinctivement. Le vent frais de la nuit me fait frissonner, mais c’est surtout son aura mystérieuse qui me glace le sang. Ce type me mitonne et je n’aime pas ça !
— Tu travailles chez ComptaFor également ? lancé-je innocemment.
Son sourire s’efface et il fronce les sourcils à son tour.
— Euh, non pas vraiment, je…
Il semble confus, perplexe et j’avoue ne pas comprendre qui est vraiment ce type. Il cherche ses mots. Il ment et très mal.
— Enfin, je suis en quelque sorte son assistant.
Je savais que Laurie avait de grandes responsabilités au sein du cabinet. Elle travaillait dans l’un des plus grands cabinets comptables de la région. Elle avait beaucoup de missions et partait souvent en déplacement. Ma sœur n’aimait pas beaucoup parler de son travail mais me cacher cette merveille, ça ne lui ressemblait pas, un assistant, encore moins. Ce type me raconte des mythos !
— Pourquoi m’avez-vous fait venir ici, et en pleine nuit ?
Alors qu’il s’apprête à me répondre, une lueur étrange embrase son regard. Pendant quelques instants, il me semble que ses yeux deviennent rouges, comme si les flammes de l’enfer se manifestaient dans son regard. La lumière vacillante du réverbère accentue l’éclat infernal, rendant la scène encore plus terrifiante. Je ne peux retenir un mouvement de recul, mon regard se fige, j’agrippe de nouveau mon sac, sentant le poids rassurant du couteau à l’intérieur.
A.J me regarde, confus, ses sourcils se froncent et ses lèvres se serrent légèrement. Il plisse les yeux, scrutant mon visage avec intensité, avant de les ouvrir en grand, comme s’il avait compris quelque chose.
— Bordel Léna, t’as ouvert ce fichu colis, hein !
À suivre…
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